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Nous avons lancé une enquête #TravailDeBonneFemme, sur les conditions de travail des femmes exploitées, des quartiers populaires et les conséquences sur les vies, leurs corps de femmes. Partager nos vécus, c’est sortir de l’isolement, pour résister ensemble.

Dans ce cadre, nous réalisons une série d'interview : La Parole aux Invisibles.  Ce sont ces femmes que nous voulons rendre visibles.  Ce sont ces femmes de l'ombre, héroïnes du quotidien, qui sont les piliers de nos boîtes et de nos quartiers. Femmes prolétaires, femmes des quartiers populaires, elles résistent et nous font part de leurs récits.

#TravailDeBonneFemme. La parole aux Invisibles, Interview 1 : Nour, pénibilité, sous-traitance et résistances.

 

 

La parole aux Invisibles : Interview #1.

Nour, agente municipale, évoque la pénibilité, la sous-traitance et ses résistances.

Pour toujours plus de rentabilité, les institutions n’ont plus aucune limite, y compris dans les écoles. C’est la casse du service public : sous-traitance, précarité, polyvalence, pression, mépris… autant de moyens utilisés pour réduire les travailleuses et travailleurs à l’état de machine contrainte de se taire, sous peine de voir leur contrat rompu ou d’être poussé.e.s à bout. Les enfants souffrent aussi de cette politique du chiffre et du rendement.

Nour, agente polyvalente en école, nous parle de son travail, de l’évolution de ses conditions de travail et ses conséquences, des luttes qui s’organisent.

Femme prolétaire, femme des quartiers populaires, elle résiste et nous fait part de son récit.

 

 

J'ai toujours été ouvrière et précaire. Je me suis battue toute ma vie : pour avoir un logement décent, contre les violences conjugales, les violences de la police et de la prison. Je suis une mère qui a élevé seule son fils, qui a toujours lutté pour ses droits.

 

Partie 1 – Nour : parcours d’une guerrière

 

Quand je te dis travail, tu me réponds…

Esclavage, pénibilité, destruction du corps.

 

En ce moment tu travailles où ?

Je suis agente polyvalente dans une école du 93. Je travaille pour la mairie depuis 2000. Au début, j'ai été précaire pendant 10 ans, et ensuite j'ai été titulaire. Ça a été 10 ans où j'étais dans les oubliettes : à la mairie, ils disaient qu’ils ne savaient pas que j’y travaillais. Ils oubliaient de me payer des mois de salaire.

J'étais toujours oubliée par la DRH. Et pour devenir titulaire, mes collègues ont fait une pétition pour moi et on a fait des délégations en mairie. On s'est mobilisées et la mairie a accepté de me rendre stagiaire et maintenant je suis fonctionnaire titulaire.

 

Et avant 2000 tu taffais où ?

Avant 2000, j'ai travaillé dans un foyer de jeunes travailleurs pendant 15 ans. Avant ce foyer, j'étais ouvrière à General Motors comme machiniste, je travaillais à la chaîne de nuit et de jour. Et avant je faisais du ménage, j'enchaînais les contrats précaires comme agent d'entretien. J'ai toujours été ouvrière et précaire. Je me suis battue toute ma vie : pour avoir un logement décent, contre les violences conjugales, les violences de la police et de la prison. Je suis une mère qui a élevé seule son fils, qui a toujours lutté pour ses droits.

 

Parle-nous de ton lieu de travail…

C'est une grande école, on a environ 400 élèves, en maternelle et élémentaire. Je suis agent polyvalent, ça veut dire que je fais tout : cantine, ménage, loge ... C'est dans ma ville du 93, j'y vis depuis plus de 30 ans.

 

La pénibilité du travail, ça peut tuer les gens, nous rendre dépressive, alcoolique, accroc aux médicaments pour oublier. Parce que les problèmes du boulot, on les ramène chez soi.

Partie 2 – Conditions de travail : de pire en pire…

 

Depuis 2000, comment évoluent tes conditions de travail ?

C'est de pire en pire. Le boulot le plus dur que j'ai fait, c'est dans les écoles. C'est beaucoup de stress, de travail, tu cours partout. La mairie nous a imposé la polyvalence depuis 2010 à peu près. On est comme des robots : on y laisse sa santé, son moral. On court partout, on doit faire toujours plus de travail. C'est pénible physiquement. Je suis la seule agente polyvalente de l’école

Le rapport avec les chefs qui viennent te harceler c’est insupportable. Ils ne connaissent pas le travail mais ils te donnent des ordres.

A mon âge, j'ai 60 ans et je fais le même boulot qu’à 20 ans. En fait je fais un boulot d'enfer ! Ma santé part en vrille, les patrons en ont rien à faire.

 

Tu trouves que les chefs deviennent de plus en plus durs avec les équipes ?

Oui carrément. Ils viennent nous parler comme si on était des chiens. On nous met la pression.

J'ai déjà subi de nombreux harcèlement de la part des chefs. Depuis l'an dernier, on me rajoute trop de tâches, et on refuse de me donner une fiche de poste. Cette année, on me menace de me faire changer d'école, sans me prévenir : c'est des menaces pour me faire craquer.

Il n'y a aucun respect, ils ne tiennent pas compte de la santé des travailleuses, on doit soulever encore plus de poids, réaliser encore plus de tâches, courir partout, piétiner … Il n'y a aucun respect ni aucune reconnaissance. Alors que les chefs, ils seraient incapables de faire le travail qu'ils nous demandent.

 

Ton travail a-t-il des conséquences sur ta santé ?

J'ai eu 5 infiltrations au bras. C'est douloureux. La majorité des filles ont mal au dos, les tendinites, mal aux genoux, mal aux pieds avec leurs chaussures de sécurité.

Ca atteint le moral. Il faut être solide pour supporter tout ça !

En vrai entre le nombre de tâches, le mépris, le harcèlement, ce boulot d'enfer, tu craques. J'ai fait plusieurs dépressions, j'ai été hospitalisée. Mais la médecine du travail m’a mise apte à la polyvalence… En fait, ils ne nous respectent pas.

En rentrant du travail, à la maison, c'est pas fini non plus. On ressasse, tu es crevée, t'as mal partout, t'as tout donné au boulot et t'as plus de forces, plus de moral.

Et la vie en dehors du travail, elle n'est pas facile non plus ! Des fois je me dis, ils attendent qu'il y ait une morte au boulot pour réfléchir. La pénibilité du travail, ça peut tuer les gens, nous rendre dépressive, alcoolique, accroc aux médicaments pour oublier. Parce que les problèmes du boulot, on les ramène chez soi.

 

Je pense que la sous-traitance est une maltraitance pour les enfants et les travailleuses. Si on nous méprise et nous maltraite : c'est les enfants en vrai qu'on méprise et maltraite.

Partie 3 – Sous-traitance et lutte : une ville mobilisée !

 

Ce qui est nouveau dans ton école, c'est la mise en place de la sous-traitance ?

Oui on a des collègues qui travaillent pour une boîte privée. On est moins nombreux pour faire le travail du côté des titulaires et eux ils sont pas assez non plus. Ils sont moins bien payés et surexploités. Moi j'essaye de pas faire de différence entre nous : je ne veux pas qu'il se sentent isolés, on doit être solidaires. Je pense que la sous-traitance est une maltraitance pour les enfants et les travailleuses : on a moins de temps pour s'occuper des enfants et les salariées de la sous-traitance ont moins de droits que nous. Si on nous méprise et nous maltraite : c'est les enfants en vrai qu'on méprise et maltraite.

 

La mairie a annoncé qu'elle voulait mettre la sous-traitance dans toutes les écoles de la ville ?

Depuis l'annonce, en octobre 2018, on est en grève. Et on n'est pas écoutés. Le maire n'a pas reçu le personnel. Une rencontre était organisée mais au dernier moment, il a refusé de recevoir les personnels avec leurs syndicats. Donc on a refusé de rencontrer le maire.

La privatisation ça veut dire : virer les précaires, pas renouveler les contrats et la mairie dit que la boite de sous-traitance Elior va les embaucher. Sauf que ce sont pas les mêmes conditions de travail ni de salaire.

La grève a bien marché, les parents d'élèves ont été très motivés et solidaires. On a fait des rassemblements, des AG. J'étais à fond, en voyant les personnels et les parents solidaires, ça faisait chaud au cœur. Les enfants aussi se sont bougés : ils voulaient nous défendre.

La mairie n’a pas assuré sur les repas pendant notre grève : sandwichs froids, pas nourrissants, salades de thon... Les enfants ont râlé de fou et ont fait des pancartes « On a faim ».

Notre grève a été soutenue par la population de la ville : des parents ont organisé des cantines solidaires pour les enfants le midi, pour pas qu'on nous rende responsables. Les responsables de ce bazar c'était la mairie qui ne pense pas aux besoins des enfants ni aux nôtres. C'était touchant de voir les enfants comme ça. On a fait pleins d'actions ensemble, c'était super bien.

 

Pendant la lutte, tu te sentais comment ?

Pendant la lutte, j'étais bien. J'étais excitée, je me sentais forte. C'est un combat important, pour nous et les enfants. Et ça fait longtemps que je mène ce combat. J'ai ressenti beaucoup de fierté, j'étais heureuse. Une lionne sortie de sa cage ! On a rencontré d'autres collègues et des parents très motivés et solidaires. C'est important pour le personnel. J'espère que la lutte va apporter le respect du personnel, moins de souffrance et de mépris.

Pendant la lutte, j'étais bien. J'étais excitée, je me sentais forte. C'est un combat important, pour nous et les enfants. Et ça fait longtemps que je mène ce combat. J'ai ressenti beaucoup de fierté, j'étais heureuse. Une lionne sortie de sa cage !

#TravailDeBonneFemme. La parole aux Invisibles, Interview 1 : Nour, pénibilité, sous-traitance et résistances.
Tag(s) : #Lutte des femmes - lutte de classes
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